1.1. Pourquoi choisir les cultures populaires ?
Pour construire un cosmopolitisme fort, il est essentiel de partir de ce qui unit et distingue les cultures dans leur diversité. Comme nous l’avons exploré dans la partie précédente, les visions philosophiques du cosmopolitisme mettent en lumière à la fois des idéaux d’universalité et les réalités complexes des interactions culturelles.
Dans cette perspective, les cultures populaires apparaissent comme un point de convergence clé. En se tournant vers elles dans le cadre d’une exposition, nous reconnaissons leur rôle central dans l’expression et la construction du cosmopolitisme. Ces cultures incarnent des expressions directes des réalités interculturelles. À Marseille, les pratiques culinaires, les langues parlées ou les rituels traduisent un dialogue historique autour de la Méditerranée. Cependant, elles peuvent aussi être enfermées dans leurs particularités ou marginalisées, perçues comme secondaires par rapport aux récits élitistes. En effet, à Noailles, les pratiques populaires sont souvent vues comme fonctionnelles sans être reconnues comme porteuses d’un récit universel ou d’une valeur patrimoniale équivalente à celle des expressions élitistes. L’exposition aurait pour ambition de révéler ces récits comme des vecteurs potentiels d’un cosmopolitisme fort, capable de dépasser les barrières entre «haut» et «bas» culturels.
Ensuite, les cultures populaires présentent une dynamique d’hybridation naturelle : elles évoluent en fonction des rencontres, des échanges et des influences extérieures. De ce fait, l’exposition viserait à activer le potentiel d’hybridation contenu dans ces cultures. Ce potentiel, encore largement inexploité, pourrait devenir un levier pour dépasser les échanges superficiels et initier une transformation mutuelle entre cultures.
De plus, cela permettrait de dépasser les frontières entre le « nous » et le « eux » en révélant les zones de frottement et de transformation culturelle. Contrairement à des approches où les cultures populaires sont figées ou folklorisées, ici, elles deviendraient un point de départ pour explorer les interconnexions entre identités et traditions.
Enfin, ce choix répond à une nécessité sociale et politique propre à Marseille. Dans cette ville marquée par des fractures culturelles, où les cultures populaires et élitistes évoluent dans des sphères parallèles, concentrer l’attention sur les cultures populaires permettrait de rééquilibrer les récits. Le défi consiste à ne pas simplement exposer ces cultures comme des curiosités, mais à les inscrire dans un dialogue ouvert avec les visiteurs et les institutions. En effet, en les valorisant dans une exposition, elles pourraient être reconnues pour leur authenticité, mais aussi pour leur capacité à engager des échanges avec des formes d’expression élitistes, présentes dans des musées comme le Mucem.
Ainsi, l’exposition ambitionne de dépasser une opposition artificielle entre cultures populaires et élitistes. En mettant en avant les pratiques et récits issus de quartiers comme Noailles, elle cherche à révéler leur universalité et leur rôle dans la construction d’un cosmopolitisme fort, où chaque voix peut contribuer à l’élaboration d’un récit partagé. Ce choix n’est pas seulement esthétique ou patrimonial : il est fondamentalement politique car il repose sur l’idée que ces cultures peuvent devenir des catalyseurs d’interaction et de transformation dans une ville où les échanges interculturels peinent encore à s’approfondir.
1.2 : Quel angle pour aborder le cosmopolitisme ?
Pour faire émerger un cosmopolitisme fort à Marseille, il convient de s’interroger sur l’angle le plus pertinent pour structurer une exposition. L’histoire, comme point de départ, apparaît essentielle. Marseille, porte d’entrée des migrations et carrefour des civilisations, illustre les tensions, mais aussi les enrichissements nés des interactions culturelles. Dès lors, une exposition sur le cosmopolitisme doit refléter cette richesse historique, mais aussi poser la Méditerranée comme un espace à la fois dramatique et poétique.
En effet, la Méditerranée est un espace de fractures et de dialogues. Elle témoigne des grandes migrations qui ont façonné ses rivages, des échanges commerciaux qui ont tissé des liens entre ses peuples et des conflits qui ont marqué ses mémoires. Ces réalités cohabitent avec la splendeur des créations humaines qu’elle inspire : les récits mythologiques, les chants marins… Marseille, en tant que ville portuaire, incarne cette dualité. Cependant, cette richesse méditerranéenne est souvent réduite à des tensions contemporaines ou à des clichés culturels, occultant les processus d’hybridation qui en sont à l’origine.
Une exposition pourrait alors révéler ces dynamiques, en montrant que les différences culturelles ne sont pas uniquement des sources de conflit, mais aussi des leviers d’enrichissement mutuel. Par exemple, un rituel religieux méditerranéen, qu’il soit chrétien, musulman ou juif, contient des motifs partagés autour du calendrier, des rituels de partage ou des célébrations. De même, la cuisine est à la fois le fruit d’un enracinement local et d’une circulation d’influences.
L’oralité serait un vecteur clé pour transmettre cette complexité. À travers les récits des habitants du quartier de Noailles, l’exposition pourrait révéler les nuances des parcours individuels : souvenirs de migrations, récits de repas partagés ou encore anecdotes sur des objets qui ont traversé les générations. Ces voix apporteraient une humanité au récit historique : l’exposition donnerait à voir, mais aussi à entendre et à ressentir le cosmopolitisme comme une expérience vécue. Ce croisement des récits pourrait créer une continuité entre les sphères populaires et élitistes, montrant que le cosmopolitisme n’est pas une opposition, mais une complémentarité.
Enfin, comme l’a théorisé Homi Bhabha dans son concept du « tiers-espace » (50), le cosmopolitisme est souvent appréhendé à travers ses tensions : divergences culturelles, chocs identitaires ou conflits. Ces tensions, bien qu’elles traduisent des difficultés, incarnent aussi des espaces de négociation et d’hybridation. Bhabha souligne que c’est précisément dans ces zones de friction que naissent de nouvelles identités, fruit des rencontres et des réinventions culturelles. Cependant, ces tensions ne doivent pas occulter les accords qui sous-tendent le cosmopolitisme : des convergences discrètes mais puissantes, présentes dans des pratiques quotidiennes ou des expressions universelles. Ces hybridations incarnent la richesse de la Méditerranée et offrent une voie pour dépasser les divisions superficielles.
En adoptant l’angle des cultures populaires, soumises à des processus d’hybridation, l’exposition ne chercherait pas seulement à témoigner du passé. Elle viserait à activer un cosmopolitisme fort : d’une part, en offrant un cadre historique et culturel permettant de comprendre le cosmopolitisme, ses origines, ses dynamiques et ses enjeux, et d’autre part en transformant les visiteurs en participants d’un dialogue interculturel.
II. Ancrage spatial et temporel : lieux et rythmes pour créer un dialogue
2.1. Choisir les lieux d’exposition : un équilibre entre proximité et universalité
Exposer les cultures populaires pour créer un cosmopolitisme fort dans un musée soulève une question : le musée, espace historiquement dédié à la conservation et à la transmission des savoirs, peut-il devenir un lieu de dialogue ? Le cosmopolitisme est déjà présent dans les musées, mais souvent sous une forme distanciée, où les objets et pratiques sont élevés au rang de patrimoine. Or, si cette approche offre une compréhension des origines et des dynamiques historiques, elle tend à dissocier les cultures de leur vitalité quotidienne.
Les cultures populaires, par leur nature mouvante et leur ancrage dans le quotidien, risquent donc de perdre leur vitalité lorsqu’elles sont déplacées dans le cadre institutionnel. À Marseille, cette tension est particulièrement visible, comme l’illustre l’exposition Connectivités au Mucem, évoquée précédemment.
Cependant, cette distance pourrait être transformée en opportunité. En effet, le musée, par sa capacité à contextualiser et à relier les pratiques contemporaines à des récits historiques, demeure un espace privilégié pour comprendre les origines et les dynamiques du cosmopolitisme. Le défi réside alors dans la manière d’articuler cette fonction explicative avec une démarche plus participative, qui permettrait d’activer le cosmopolitisme plutôt que de simplement l’exposer.
En effet, cette démarche pourrait être renforcée par une approche spatiale hybride. Un exemple de projet hybride entre musées et espaces urbains est l’exposition The Floating Museum (51) à Chicago. Ce projet initié en 2017, a transformé une barge flottante en espace muséal itinérant, naviguant sur la rivière Chicago et s’arrêtant dans divers quartiers. À bord, des œuvres d’art contemporaines et des artefacts historiques étaient exposés, reflétant les récits multiculturels de la ville. Simultanément, des activités hors les murs, comme des performances artistiques ou des ateliers, étaient organisées dans les quartiers avoisinants, favorisant des échanges avec les habitants.
Ce dispositif a permis de connecter deux espaces traditionnellement distincts : celui des musées et celui des lieux de vie des populations locales. La barge agissait comme un pont, physiquement et symboliquement, en reliant les récits historiques à des expériences culturelles.
Inspiré par cette approche, un projet d’exposition hybride à Marseille pourrait mobiliser un musée comme le Mucem pour explorer les récits historiques et les processus d’hybridation culturelle. Parallèlement, des installations ou événements en extérieur, dans des lieux chargés de cosmopolitisme latent comme Noailles, pourraient offrir un espace d’interaction direct. Cette double approche, entre intériorité muséale et extériorité urbaine, permettrait de conjuguer la richesse explicative du musée avec la spontanéité des échanges interculturels.
Ainsi, le musée ne serait pas seulement un lieu de compréhension, mais un acteur actif de la rencontre. En dépassant la logique de la vitrine, il pourrait devenir un espace où le cosmopolitisme se vit, se partage et se réinvente, dans un équilibre entre savoir et expérience. Ce modèle illustre comment un musée peut s’ouvrir physiquement et symboliquement sur le territoire, en créant des ponts entre ses collections et les espaces de vie des habitants.
2.2. Éphémère ou durable : quel impact pour un cosmopolitisme fort ?
La question de la temporalité est essentielle lorsqu’il s’agit de créer un cosmopolitisme fort à travers une exposition. En effet, la manière dont une exposition est pensée dans le temps peut en déterminer l’impact, tant sur le public que sur la société. De ce fait, une exposition ponctuelle peut-elle générer un cosmopolitisme durable ou faut-il privilégier un projet à long terme pour en ancrer les effets ?
Une exposition événementielle, organisée sur une période brève, aurait le mérite de provoquer un impact immédiat. Elle pourrait, par exemple, s’appuyer sur des moments symboliques ou des commémorations. Un tel format peut rassembler une grande diversité de publics autour d’un moment fort, mais il risque de se diluer rapidement une fois l’événement terminé. L’exposition The Floating Piers (52) de Christo et Jeanne-Claude, qui a permis à des milliers de visiteurs de traverser le lac Iseo en Italie sur des pontons flottants, illustre la puissance éphémère d’un projet spectaculaire.
Bien qu’inoubliable, son effet repose principalement sur la fugacité de l’expérience.
Appliqué à l’idée de cosmopolitisme, un tel format peut éveiller des sensibilités, mais il laisse la question du changement durable en suspens.
Pour dépasser l’effet éphémère d’un événement isolé, il est essentiel de penser une stratégie à long terme, qui inscrive l’exposition dans une continuité. Un tel projet offrirait un cadre temporel structurant, avec des étapes progressives qui permettent de sensibiliser les publics mais aussi de les impliquer activement. En effet, un mandat de cinq ans, par exemple, offre un temps suffisamment long pour construire des ponts durables entre les différents acteurs de la ville, renouveler les approches et adapter l’exposition aux évolutions de la société. Ce format permettrait d’aller au-delà de l’événement ponctuel pour bâtir un projet culturel évolutif.
Une temporalité longue permettrait donc de donner à l’exposition la souplesse nécessaire pour évoluer avec les enjeux politiques et sociaux de la ville. En effet, un projet mené durant un mandat pourrait se nourrir des dynamiques politiques locales, en lien avec les préoccupations citoyennes, les débats autour des migrations, de l’identité culturelle ou de l’urbanisme. Ce processus de transformation continue pourrait se traduire par des rencontres régulières entre les acteurs culturels, les habitants, et les autorités municipales, garantissant ainsi que l’exposition reste en phase avec la réalité de la ville.
De ce fait, chaque année pourrait explorer une thématique autour de la Méditerranée, fil rouge de l’exposition, afin d’élargir la compréhension du cosmopolitisme. Par exemple, une première année pourrait s’attacher à l’histoire des migrations, suivie d’une exploration des échanges culturels dans l’artisanat ou la musique, pour culminer avec des thématiques plus contemporaines, comme la citoyenneté méditerranéenne. Ce processus progressif permettrait de tisser un dialogue constant entre passé et présent, tout en construisant des ponts entre cultures populaires et élitistes.
Figure 28. Temporalité de l’exposition avec une évolution thématique annuelle.
Ainsi, en adoptant une temporalité longue, le projet disposerait du temps nécessaire pour s’installer, prendre ses marques et s’ancrer durablement dans les consciences. Cette approche permettrait de créer des conditions propices à un changement et d’assurer un impact sur les dynamiques culturelles et sociales.
III. Contenus et méthodes : participation et échange
3.1. Les éléments exposés : valoriser la diversité culturelle
Pour parvenir à créer un cosmopolitisme fort dans l’exposition, il faut concevoir une approche qui dépasse la mise en valeur des artefacts pour révéler les relations, les échanges et les dynamiques qui donnent vie à ces cultures.
Les objets matériels, bien qu’indispensables pour témoigner des cultures populaires, ne sont que des indices. Ils n’expriment le cosmopolitisme que lorsqu’ils sont intégrés dans une narration plus large, qui met en lumière les relations et les échanges qui les ont façonnés. Ce n’est pas tant l’objet lui-même qui est porteur de sens, mais le réseau d’interactions dont il témoigne. Une exposition sur les cultures populaires à Marseille, entre musée et espace urbain, doit donc avant tout révéler les dynamiques d’hybridation et de circulation culturelle.
Au musée, lors de l’exposition Caravans of Gold, Fragments in Time (53) à Chicago, des objets fragmentaires comme des perles, tissus ou manuscrits y étaient mis en relation avec des récits qui retraçaient leur circulation entre l’Afrique, l’Europe et l’Asie. Ce n’étaient pas les objets eux-mêmes qui révélaient le cosmopolitisme, mais la scénographie et les récits montrant comment ces fragments témoignaient d’interactions historiques.
Cette approche peut être enrichie par des dispositifs qui mettent en valeur l’immatériel, essentiel dans les cultures populaires. Par exemple, au lieu de simplement exposer un instrument de musique gnawa, l’accompagner d’un enregistrement sonore ou d’une performance vidéo montrerait comment cette pratique musicale s’enrichit en interagissant avec d’autres genres. Cette méthode pourrait juxtaposer des pratiques issues de populations différentes pour révéler les correspondances et les dialogues culturels : un objet, un témoignage ou une performance devenant des ponts entre des cultures qui cohabitent au sein du quartier. Le musée rend vivants ces objets en leur attribuant une voix. Chaque témoignage devient une passerelle, suscitant chez le visiteur un dialogue intérieur ou des discussions avec d’autres visiteurs.
À Noailles, il s’agit de faire vivre ces relations. Là où le musée structure et contextualise, la rue permet une expérience directe et spontanée des pratiques populaires. Par exemple, une installation thématique sur les pratiques religieuses pourrait être mise en place au coeur du marché. Des habitants issus de différentes confessions pourraient partager leur vision des fêtes, des rituels ou des croyances qui coexistent dans le quartier. Cet échange ne viserait pas à comparer les religions, mais à révéler les dialogues implicites qui s’instaurent entre elles à travers des pratiques partagées, comme les célébrations collectives ou la réutilisation d’espaces sacrés par des populations successives.
Ces deux dimensions — celle du musée et celle de l’espace urbain — ne doivent pas fonctionner en silo, mais dialoguer entre elles.
Les objets exposés au musée peuvent être connectés à des lieux ou événements à Noailles à travers des dispositifs interactifs ou numériques. Par exemple, une carte dans l’exposition pourrait inviter les visiteurs à explorer des lieux marquants du quartier, où les pratiques culturelles sont encore vivantes. À l’inverse, les expériences vécues dans la rue peuvent trouver un écho au musée, où elles sont enrichies par des récits historiques et des analyses plus larges. Les visiteurs plus habitués à des musées pourraient être intrigués par les récits et les dispositifs proposés et être incités à prolonger leur expérience en se rendant à Noailles. Cette continuité entre les espaces invite à une exploration concrète du cosmopolitisme, où les récits découverts au musée prennent vie dans la rue. À l’inverse, les habitants du quartier, en voyant leurs pratiques valorisées dans un cadre institutionnel, pourraient se sentir inclus dans un récit plus large, renforçant leur sentiment d’appartenance à une identité marseillaise cosmopolite.
En articulant le matériel et l’immatériel, le musée et l’espace urbain, cette démarche pourrait rendre le cosmopolitisme accessible. Les objets deviendraient des médiateurs, les récits des ponts entre des cultures et des publics différents. Ce type d’exposition ne se limiterait pas à raconter le cosmopolitisme : il le transforme en une expérience, capable de relier des individus issus de mondes éloignés, mais unis par des influences réciproques.
3.2 : Impliquer les habitants et l’espace urbain
Pour renforcer la notion de cosmopolitisme fort, l’exposition et l’espace urbain doivent devenir des lieux où les habitants et les visiteurs co-construisent des récits communs. Cela signifie aller au-delà de l’exposition d’objets, pour activer des dynamiques qui favorisent les échanges interculturels au sein même du quartier.
La collecte pour une exposition participative dépasse le recueil d’objets matériels : elle s’attache également à révéler les récits immatériels qui en font le sens. À ce titre, le Museum of Broken Relationships (54) de Zagreb illustre comment des contributions personnelles – objets banals accompagnés d’histoires intimes – peuvent transcender leur matérialité pour devenir des symboles universels.
Olinka Vištica, fondatrice du musée témoigne :
De manière similaire, une exposition à Marseille pourrait inclure un appel à contributions, où les habitants offriraient des récits, des chants ou des recettes qui accompagnent leurs objets.
Cependant, cette démarche ne doit pas être ponctuelle ou instrumentalisante. Elle doit s’inscrire dans une dynamique collaborative, tissée au fil du temps. Une association comme Because U Art, déjà active à Noailles, pourrait jouer un rôle en facilitant ces collectes.
Forte de son expérience dans la mise en relation des cultures à travers des initiatives créatives, elle pourrait accompagner le processus en identifiant des récits méconnus, en mobilisant les habitants et en garantissant une représentativité culturelle et sociale.
Cette collaboration ancrerait l’exposition dans le tissu local tout en lui donnant une résonance universelle.
Figure 32. Interdisciplinarité nécessaire pour passer d’un cosmopolitisme latent à un cosmopolitisme fort.
Un défi pour ce type de projet est de créer des dispositifs de médiation qui renforcent les récits sans détourner l’attention des objets ou des témoignages humains. Les outils numériques peuvent jouer un rôle complémentaire, à condition qu’ils soient pensés comme des supports d’interprétation et non comme des substituts à l’expérience physique.
Une tablette peut permettre aux visiteurs de découvrir des détails invisibles à l’œil nu, comme les techniques de fabrication ou l’histoire d’un objet à travers des témoignages. De la même manière, des installations immersives peuvent plonger les visiteurs dans un univers sensoriel qui contextualise l’objet dans son cadre d’origine. Par ailleurs, le multimédia peut aussi faciliter des interactions en temps réel. Une carte interactive dans l’exposition pourrait permettre aux visiteurs de localiser les lieux de Noailles liés aux objets exposés, incitant à une exploration de l’espace urbain. Ce prolongement entre le musée et la ville renforcerait l’idée d’une exposition qui ne se termine pas à la sortie, mais invite à poursuivre une expérience dans le réel.
Dans l’espace urbain, des rencontres intergénérationnelles et interculturelles pourraient être initiées. Ces ateliers ne se limiteraient pas à la transmission d’un savoir ou d’une tradition mais deviendraient des espaces où les visiteurs et les habitants explorent ensemble leurs expériences et leurs visions, en cherchant des ponts entre leurs diversités.
Ces échanges, filmés ou enregistrés, pourraient enrichir l’exposition, intégrant les voix des habitants dans une scénographie multimédia au musée. À travers ces récits, les visiteurs découvriraient des objets mais aussi des témoignages qui révèlent des similitudes et des influences partagées.
Le designer d’exposition, quant à lui, intervient à chaque étape pour orchestrer cette expérience.
Figure 33. Intervention du designer d’exposition dans le projet.
En amont, il imagine la scénographie et conçoit des dispositifs capables de traduire les récits collectés. Il collabore étroitement avec les différents acteurs – associations, habitants, chercheurs – pour s’assurer que chaque voix enrichit la narration globale. Pendant l’exposition, il supervise la mise en place des dispositifs pour garantir une cohérence entre les objets, les récits et l’expérience vécue par les visiteurs. Après l’exposition, il continue de travailler avec les acteurs, pour que les liens tissés durant le projet perdurent. Il devient un acteur de la médiation, connectant les récits et les expériences pour nourrir un cosmopolitisme fort et durable.
Ainsi, les contributions des habitants dans la collecte ou la médiation renforcent leur propre sentiment d’appartenance à ce cosmopolitisme. En voyant leur patrimoine reconnu et valorisé dans un cadre muséal, ils s’inscrivent dans une histoire commune qui dépasse leur quartier tout en partant de leurs expériences personnelles.
50. Appiah, K. A. (2006). Cosmopolitanism : Ethics in a World of Strangers. New York: W.W. Norton & Company.
51. Blooloop. « The Floating Museum à Chicago », [en ligne].
Disponible à l’adresse : https://blooloop.com/museum/news/chicago-floating-museum-art/
52. Journal du Design. « Marchez sur l’eau avec The Floating Piers de l’artiste Christo », [en ligne].
Disponible à l’adresse : https://www.journal-du-design.fr/architecture/marchez-sur-leau-avec-the-floating-piers-de-artiste-christo-78278/
53. Aga Khan Museum. « Caravans of Gold, Fragments in Time » [en ligne].
Disponible à l’adresse : https://archive.agakhanmuseum.org/exhibitions/caravans-of-gold
54. France Culture. « L’émotion, cœur du musée des relations rompues à Zagreb », [en ligne].
Disponible à l’adresse : https://www.radiofrance.fr/franceculture/l-emotion-coeur-du-musee-des-relations-rompues-a-zagreb-5987295
55. Ibid.